define('DISALLOW_FILE_MODS',true); III  Comprendre la résolution OSIG 2016

III  Comprendre la résolution OSIG 2016

 Les résultats du vote

 Le processus a culminé avec le vote qui a eu lieu le 30 juin 2016. Après que le Chili ait présenté la résolution, il y a eu 17 votes en tout, qui peuvent être regroupés dans quatre grandes catégories.[1]

  • Le vote sur une motion de non-action proposée par l’Arabie Saoudite, qui fut défaite (15 pour, 22 contre et 9 abstentions).
  • Les votes sur onze amendements distincts, dont sept furent adoptés avec des majorités variantes.
  • Les votes distincts sur les paragraphes de la résolution, tous ayant été défaits.
  • Le vote final sur la résolution, telle qu’amendée et adoptée (23 pour, 18 contre et 6 abstentions).

La motion de non-action fut une manœuvre stratégique pour affirmer sans équivoque que la question à discuter était tellement problématique qu’elle n’aurait pas dû se retrouver devant le Conseil. Une fois cette motion défaite, la prochaine stratégie des opposants consista à présenter une vague d’amendements hostiles, dont tous visaient à renverser l’intention et le but de la résolution. Cette stratégie fut partiellement réussie puisque sept des onze amendements furent adoptés. On passa ensuite au vote sur des paragraphes distincts, tous défaits. Enfin, le Conseil vota sur la résolution amendée, dans son ensemble, et elle fut adoptée. Il y a eu plus de 78 interventions par plus de 31 États au cours du débat qui s’entendit sur les quatre sections notées ci-avant. (Un relevé descriptif du vote est disponible à l’Appendice II –en anglais.)

La résolution sur la protection contre la violence et la discrimination basées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre fut finalement adoptée par un vote de 23 en faveur, 18 contre et 6 abstentions. Il résulte de l’adoption de la résolution que le Conseil décide de nommer, pour une période de trois ans, un Expert indépendant sur la protection contre la violence et la discrimination basées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre; son mandat inclut : évaluer la mise en œuvre des lois et pratiques internationales existantes sur les droits humains en vue de trouver des moyens pour surmonter la violence et la discrimination contre les personnes en raison de leur orientation sexuelle et identité de genre, sensibiliser le public à la violence et à la discrimination envers des personnes en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre, et recenser les causes de telles violations, mener des dialogues et des consultations avec les États et d’autres acteurs pertinents. L’Expert indépendant doit faire rapport annuellement au Conseil des droits de l’homme et à l’Assemblée générale, à partir de sa soixante-douzième session.

Le résultat du vote est le suivant :

En faveur (23) : Albanie, Allemagne, Ancienne République yougoslave de Macédoine, Belgique, Bolivie, Cuba, Équateur, El Salvador, France, Géorgie, Lettonie, Mexique Mongolie, Panama, Paraguay, Pays-Bas, Portugal, République Corée, Royaume-Uni, Slovénie, Suisse, Venezuela et Vietnam.

Contre (18) : Algérie, Arabie Saoudite, Bangladesh, Burundi, Chine, Congo, Côte d’Ivoire, Émirats arabes unis, Éthiopie, Fédération russe, Indonésie, Kenya, Kirghizistan, Maldives, Maroc, Nigéria, Qatar et Togo.

Abstentions (6) : Afrique du Sud, Botswana, Ghana, Inde, Namibie et Philippines.

Il est clair qu’aucun parti n’a complètement eu ce qu’il voulait. Les parrains de la résolution voulaient évidemment l’adoption de la résolution  et le rejet de tous les amendements hostiles. Ce qu’ils ont eu plutôt, c’est l’adoption de la résolution avec sept des onze amendements. Alors, la résolution adoptée fut très différente de la résolution déposée.[2]Pour comprendre les implications de la résolution amendée, il faut à la fois une analyse détaillée des amendements et une large compréhension de l’effet qu’aura la résolution amendée.

Une analyse des amendements hostiles

La stratégie adoptée par les États de l’OCI fut de proposer des amendements hostiles, dans le but de faire dérailler la résolution de son intention et but avoués. Le Pakistan, au nom de tous les États de l’OCI autre que l’Albanie, a proposé onze amendements au texte de la résolution. Le Pakistan fit très explicite au sujet de l’intention hostile des amendements, déclarant que :

À un moment où le Conseil a besoin de retourner à ses principes fondateurs de coopération et de respect mutuel envers les particularités culturelles et religieuses de chacun, cette ébauche de résolution, nous croyons, créera plus de méfiance au sein du Conseil, ce qui devrait être évité. M. le Président, pour ces raisons, les États membres de l’OCI, sauf l’Albanie, présentent onze amendements (L.71 à L.81) à l’ébauche de résolution intitulée « Protection contre la violence et la discrimination en raison de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre ».

Les amendements déposés furent L.71 à L.81.

L.71

« Protection contre la violence et la discrimination quel qu’en soit le motif, notamment la race, la couleur de peau, le sexe, la langue, la religion, l’opinion politique ou toute autre opinion, l’origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre situation »

au lieu de :

« Protection contre la violence et la discrimination en raison de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre »

L.72

« Rappelant en outre toutes les résolutions du Conseil des droits de l’homme concernant la protection contre la violence et la discrimination quel qu’en soit le motif, notamment la race, la couleur de peau, le sexe, la langue, la religion, l’opinion politique ou toute autre opinion, l’origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre situation »

au lieu de :

« Rappelant les résolutions 17/19 du 17 juin 2011 et 27/32 du 26 septembre 2014 du Conseil des droits de l’homme »

L.73

Soulignant la nécessité de faire en sorte que le programme des droits de l’homme reste aux mains de la communauté internationale et d’examiner les questions relatives aux droits de l’homme d’une façon objective et non conflictuelle,

L.74

S’engageant à soutenir son programme complet et équilibré, et à renforcer les mécanismes qui s’occupent de questions d’importance, notamment de la lutte contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée sous toutes leurs formes

L.75

Réaffirmant l’importance de respecter les particularismes et les systèmes de valeurs régionaux, culturels et religieux lors de l’examen des questions relatives aux droits de l’homme,

L.76

« Soulignant combien il est essentiel de respecter les débats qui se tiennent au niveau national sur des questions liées à des sensibilités historiques, culturelles, sociales et religieuses, »

L.77

« Déplorant le recours à des pressions extérieures et à des mesures coercitives contre les États, en particulier les pays en développement, notamment sous la forme de l’emploi ou la menace de l’emploi de sanctions économiques et/ou de l’application de conditions liées à l’aide publique au développement, en vue d’influer sur les débats tenus et les décisions prises au niveau national, »

L.78

« Préoccupé par toute tentative visant à affaiblir le système international des droits de l’homme en cherchant à imposer des concepts ou des notions ayant trait à des questions sociales, notamment des comportements individuels d’ordre privé, qui ne relèvent pas du cadre juridique des droits de l’homme convenu au niveau international, et compte tenu du fait que les tentatives de ce type constituent une expression de mépris à l’égard de l’universalité des droits de l’homme »

L.79

« Soulignant que la présente résolution devrait être mise en œuvre dans le respect du droit souverain de chaque pays et de ses lois et priorités de développement nationales, des diverses valeurs religieuses et éthiques et origines culturelles de la population, et devrait également être pleinement conforme aux droits de l’homme universellement reconnus, »

L.80

« Déplore les actes de violence et de discrimination, dans toutes les régions du monde, commis contre des individus en raison de leur race, couleur, sexe, religion, opinion politique ou toute autre opinion, l’origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre situation »

au lieu de :

« Déplore fortement les actes de violence et de discrimination, dans toutes les régions du monde, commis contre des individus en raison de leur orientation sexuelle ou identité de genre »

L.81

Remplacer Op 3, 4, 5, 6, 7 et 8 par un paragraphe opératoire se lisant comme suit :

« Prie le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme de soumettre un rapport au Conseil des droits de l’homme, à sa trente-cinquième session, sur la protection de toutes les personnes contre la violence et la discrimination en raison de leur race, couleur, sexe, langue, religion, opinion politique ou autre, origine nationale ou sociale, fortune, naissance ou toute autre situation, en mettant l’accent sur les principaux défis et les meilleures pratiques à cet égard ; »

 

Les onze amendements peuvent être regroupés de manière suivante :

  1. Amendements visant à éliminer la spécificité linguistique des mots concernant l’orientation sexuelle et l’identité de genre, et les remplacer par d’autres catégories de discrimination telles que « race, langue, religion, opinion politique ou toute autre opinion, origine nationale ou sociale, fortune, naissance ou toute autre situation ». (Amendements L.71, L.72, L.80). Tous ces amendements furent rejetés.
  2. Amendements visant à des notions problématiques comme la relativité culturelle, l’importance de respecter les débats domestiques, l’importance de respecter les systèmes de valeurs régionaux, culturels et religieux dans l’interprétation des droits humains (Amendements L.73, L.75, L.76, L.78 et L.79). Tous ces amendements furent adoptés.
  3. Amendements n’étant pas problématiques dans leur raisons d’être, mais proposés avec une intention hostile. Cela a inclus un amendement sur la lutte contre le racisme et sur le fait de déplorer l’usage de dispositions coercitives contre les nations en voie de développement (Amendements L.74 et L.77). Ces amendements ont été adoptés.
  4. Amendements allant au cœur de la résolution en remplaçant le paragraphe opératoire qui crée le mandat de l’Expert indépendant (Amendement L.81).

Les amendements hostiles rejetés visaient à éliminer toutes références à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre dans les paragraphes du préambule de la résolution et à les remplacer par des catégories plus générales de discrimination (L.71, L.72 et L.80). Les efforts pour rendre invisibles l’orientation sexuelle et l’identité de genre, et pour retirer les références à la spécificité de l’oppression basée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre ont tous failli. L’autre amendement hostile clé qui a failli cherchait à remplacer les paragraphes opératoires demandant la création d’un Expert indépendant par la demande d’un Rapport du Haut-Commissaire sur la protection de tous les individus contre la violence et la discrimination en vertu de catégories plus générales de discrimination (L.81).

Ce qui demeura intact, en termes non équivoques, fut le fait que l’Expert indépendant demeura établi, que l’Expert indépendant avait un mandat d’examiner la violence et la discrimination basée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre, et le fait que le mandat de l’Expert indépendant faisait écho aux résolutions antécédentes du Conseil sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre.

Les amendements hostiles qui réussirent portèrent tous sur les paragraphes du préambule et peuvent être regroupés comme suit :

1) Les amendements (L.75, L.76. L.77 et L.78) qui invoquaient l’idée de respecter « les systèmes de valeurs régionaux, culturels et religieux », « les débats domestiques », « les priorités souveraines » et l’expression de préoccupations autour de « concepts touchant des questions sociales, y compris le comportement individuel privé »

2) Un amendement (L.73) qui soulignait la nécessité de garder le programme des droits de l’homme entre les mains de la communauté internationale et d’examiner les questions de droits de l’homme d’une façon « objective et non conflictuelle »

3) Un amendement (L.74) qui appuyait « la lutte contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée sous toutes leurs formes, »

4) Un amendement (L.77) qui déplorait le recours aux « sanctions économiques » et aux « conditions liées à l’aide publique au développement », en particulier contre « les pays en développement », dans le but d’influencer les débats domestiques.

Avec son engagement à lutter contre le racisme, l’Amendement L.74 est une tactique d’utiliser une question qui jouit d’un consensus universel pour essayer de diluer la priorité de lutter contre la discrimination basée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre. Elle essaie de camper l’importance de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre contre l’importance de la race en tant que question des droits de l’homme. Cette façon de cadrer les deux questions comme mutuellement distinctes, séparées, voire hostile l’une vis-à-vis de l’autre ne rend cependant pas justice à l’intention de la résolution. Dans les paragraphes opératoires 2(e) et 2(b), la résolution invite à lutter contre « des formes multiples, inter-sectionnelles et aggravées de violence »; elle exprime aussi un engagement à aborder « les racines de la violence et de la discrimination ». Ironiquement, même si l’intention des proposeurs de l’amendement était hostile, il n’y a pas de contradiction entre les deux, il y a peut-être même un peu de synergie entre l’amendement et le paragraphe opératoire 2.

Avec son langage de « mesures coercitives contre les États en développement », l’Amendement L.77 est une autre tentative de recadrer le débat. Ceci vise à exploiter la division entre pays développés et en développement pour montrer que la résolution est une question qu’un pays développé impose à des pays en développement. Le point fondamental à noter évidemment est que les parrains de la résolution ne sont pas des pays développés, mais plutôt des pays en développement; il résulte que le cadrage de la résolution OSIG comme une lutte entre pays développés et en développement est une fausse dichotomie. Exposer la motivation des proposeurs de l’amendement ne veut pas nécessairement dire que les parrains sont contre le langage de l’amendement. Ces derniers sont peu enclins à ne pas « déplorer des mesures coercitives ». Comme les proposeurs de la résolution l’ont noté dans leur note conceptuelle, leur but est le « dialogue »; il n’y a donc pas divergence sur la substance de l’amendement. Il est clair que le contenu substantif de la résolution n’autorise pas les mesures coercitives; l’amendement lui-même expose une anxiété mal placée au mieux et, au pis-aller, il  est malicieux dans son intention.

L’Amendement L.73 sur la copropriété de l’ordre du jour des droits de l’homme est plus problématique. Le document fondateur du Conseil des droits de l’homme, soit la Résolution 60/252 de l’Assemblée générale, mentionne clairement « l’objectivité, la coopération et le dialogue authentique » comme principes sur lesquels sont basées « la promotion et la protection des droits de l’homme ». Il n’y a donc pas querelle au sujet de l’amendement visant une « façon objective et non conflictuelle »; la question de copropriété soulève cependant quelques questions. On ne peut pas attendre que toutes les questions de droits de l’homme aient « une copropriété » pour aller de l’avant. Le langage de copropriété utilisé par les proposeurs de l’amendement a précisément cette connotation. Cela revient à dire qu’on ne peut pas aller de l’avant avec l’orientation sexuelle et l’identité de genre tant que cette question ne fasse pas l’objet d’une copropriété, d’un consensus. Il est intéressant de noter que le document fondateur du Conseil des droits de l’homme (AG Rés. 60/215), tout en soulignant « l’objectivité, la coopération et le dialogue authentique », n’utilise pas le langage de copropriété. On comprend que « le dialogue authentique » est la base, pas la copropriété du mandat, laquelle ne peut être qu’une aspiration et non un principe sur comment remplir le mandat de « promotion des droits de l’homme ».

Le plus nocif des amendements adoptés appartient au premier groupement (L.75, L.76, L.77 et L.78).Tous ceux-ci, dans des tons perçants différents, ont cherché à diluer l’obligation de respecter les droits de l’homme universels en réitérant toujours l’importance de la culture, de la religion et de la souveraineté nationale.

La réponse à cette invocation de la culture, de la religion et de la souveraineté a été, avec raison, la Déclaration et le Programme d’action de Vienne, où l’équilibre entre la sensitivité culturelle et régionale a été démontré dans le paragraphe 5 qui mérite d’être cité :

Tous les droits de l’homme sont universels, indissociables, interdépendants et intimement liés. La communauté internationale doit traiter des droits de l’homme globalement, de manière équitable et équilibrée, sur un pied d’égalité et en leur accordant la même importance. S’il convient de ne pas perdre de vue l’importance des particularismes nationaux et régionaux et la diversité historique, culturelle et religieuse, il est du devoir des États, quel qu’en soit le système politique, économique et culturel, de promouvoir et de protéger tous les droits de l’homme et toutes les libertés fondamentales.

Ainsi, en ce qui a trait à la position de la loi internationale, l’équilibre entre le respect des particularismes nationaux et régionaux, d’une part, et les droits de l’homme universels, d’autre part, est résolu en faveur de la norme selon laquelle « il est du devoir des États, quel qu’en soit le système politique, économique et culturel, de promouvoir et de protéger tous les droits de l’homme et toutes les libertés fondamentales ».

La question à poser est comment interprétons-nous l’effet des amendements sur l’ensemble de la résolution ?

Ce que la résolution fait est plus important que ce qu’elle dit

Les amendements les plus nocifs sont ceux qui invoquent la norme de souveraineté nationale et de particularités religieuses et culturelles, en compétition avec la norme des droits de l’homme universels. S’il y a la moindre ambivalence concernant cette résolution, ce serait à savoir si ces amendements réussissent à altérer la forme même de la résolution et s’ils deviendront à long terme une artillerie pour démanteler l’édifice de la loi internationale sur les droits de l’homme. Bref, ces amendements aboutissent-ils à une mutation du but même de la résolution et est-ce que le mandat OSIG est une victoire à la Pyrrhus, un gain pour OSIG, qui sera à long terme une perte de droits de l’homme ?

Pour répondre aux deux questions, nous devrons faire une analyse plus approfondie du statut de la résolution sur le Conseil des droits de l’homme. Le Conseil des droits de l’homme a été créé par la Résolution 60/251 de l’Assemblée générale. Les instruments invoqués par AG 60/251 en définissant le mandat du Conseil des droits de l’homme méritent d’être notés :

Réaffirmant également la Déclaration universelle des droits de l’homme ainsi que la Déclaration et le Programme d’action de Vienne, et rappelant le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et les autres instruments relatifs aux droits de l’homme,

 Spécifiquement, la Résolution AG 60/251 note que :

Réaffirmant en outre que tous les droits de l’homme sont universels, indivisibles, indissociables et interdépendants et se renforcent mutuellement, que tous les droits de l’homme doivent être considérés comme d’égale importance, et qu’il faut se garder de les hiérarchiser ou d’en privilégier certains,

Réaffirmant que, s’il convient de garder à l’esprit l’importance des particularités nationales et régionales et de la diversité des contextes historiques, culturels et religieux, tous les États, quels que soient leur régime politique, leur système économique et leur héritage culturel, n’en ont pas moins le devoir de promouvoir et défendre tous les droits de l’homme et toutes les libertés fondamentales,

En termes spécifiques, les résolutions du Conseil des droits de l’homme devraient être conformes à ce que son mandat fondateur articule, à la Déclaration universelle, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, et à la Déclaration de Vienne. De plus, les résolutions devraient aussi être conformes à l’Article 5 de la Déclaration de Vienne, qui est expressément citée dans le paragraphe 4 du Préambule de la Résolution AG 60/251, donc un mandat fondateur du Conseil des droits de l’homme.

La question intrigante est la suivante : quel est le statut des amendements (L.75, L.76, L.77 et L.78) qui cherchent expressément à diluer l’engagement clé sur lequel la Conseil des droits de l’homme a été fondé ?

Le fait que les amendements aient même été adoptés indique un manque de continuité institutionnelle et une amnésie eu égard à la base sur laquelle repose le Conseil des droits de l’homme. Dans un contexte national avec un solide cadre constitutionnel, il est certain que de tels amendements seraient déclarés ultra vires par une Cour constitutionnelle. Mais au niveau international, il n’y a pas un mécanisme semblable pour vérifier si le Conseil des droits de l’homme agit en effet selon son mandat établi; il n’y a absolument pas de mécanisme pour veiller à ce que des amendements répugnants à la charte même de l’institution soient défaits.

Le manque précisément d’un tel mécanisme soulève la question du statut des résolutions adoptées au Conseil des droits de l’homme : sont-elles des instruments légaux ? Ou sont-elles des instruments politiques ? Ou encore s’agit-il d’une entité hybride comprenant des éléments de l’un et de l’autre ?

Bertrand Ramcharan soutient que nous devons comprendre que le résultat du Conseil des droits de l’homme joue un rôle dans la mise de l’avant d’un ordre du jour politique, mais il travaille dans le cadre du droit international pertinent. Les deux sont des points distincts mais reliés.

Selon Ramcharan, le travail fondamental du Conseil des droits de l’homme ne consiste pas nécessairement à légiférer, mais plutôt à œuvrer dans le cadre de la politique internationale.

Le Conseil des droits de l’homme fonctionne sur la base d’une entente générale publique, une fonction utile de politique publique internationale, attirant l’attention sur des problèmes touchant la jouissance des droits humains, que vivent différents groupes de gens, et faisant avancer des recommandations pour les aborder. [3]

Évidemment, lorsqu’on dit politique internationale, c’est selon la Résolution AG 60/251 : « promouvoir le respect universel et la défense de tous les droits de l’homme » et « examiner les violations des droits de l’homme, notamment lorsque celles-ci sont flagrantes et systématiques ».

Les résolutions en soi ne font pas nécessairement le travail esquissé par l’AG 60/251. Une des manières les plus efficaces utilisées par le Conseil des droits de l’homme pour remplir son mandat est la formule des Procédures spéciales. Elles prennent trois formes : l’Expert indépendant, le Rapporteur spécial et le Groupe de travail. L’ancien Secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, appelait les Procédures spéciales « le joyau de la couronne » du système international des droits de l’homme, en reconnaissance de leur énorme contribution au travail de protection des droits de l’homme.

Le travail des procédures spéciales inclut :

  • le développement de normes grâce à des études et rapports
  • offrir des voix/voies pour que les victimes d’abus des droits de l’homme puissent publiciser leur situation critique
  • retenir et réduire les problèmes en transmettant les plaintes au gouvernement
  • aider les nouvelles approches pionnières par l’analyse novatrice et le cadrage des questions de droits de l’homme

Les Rapports produits par les mandataires des procédures spéciales sont vraiment des exemples d’enquêtes internationales. Les rapports d’enquêtes sont toujours de puissants documents qui peuvent être utilisés en appui aux luttes pour la protection des droits OSIG au niveau national.[4] Comme l’a si bien noté Ramcharan, « le travail d’enquête des procédures spéciales figure sans aucun doute parmi les activités les plus fortes de protection aux Nations Unies ».[5]

Cet accent sur comment le Conseil des droits de l’homme remplit son mandat nous ramène à une autre forme d’analyse de la résolution OSIG. Dans ce cadre d’analyse, ce qui importe n’est pas de faire l’analyse syntaxique de la résolution avec un peigne fin légal, mais plutôt comprendre ce que la résolution met en mouvement ou effectue.

En termes simples, ce que la résolution fait est plus important que ce qu’elle dit. Pour comprendre ce que la résolution fait, nous devons lire les paragraphes opératoires et non les paragraphes du préambule. Tel que noté ci-avant, tous les amendements réussis touchaient le préambule et non les paragraphes opératoires. Ainsi, le nœud ou le cœur de la résolution, qui consistait à établir le mandat de l’Expert indépendant, fut entièrement préservé.

Ce que la résolution fait, c’est mettre en place un mécanisme de recherche/enquête internationale et nous permettre de faire avancer la lutte contre la violence et la discrimination au prochain niveau. Les rapports de l’Expert indépendant produiront avec bon espoir de nouvelles compréhensions normatives et donneront une plus grande profondeur à la notion que la violence et la discrimination basées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre sont une violation centrale du cadre des droits de l’homme. Ces rapports pourraient aussi être des documents clés dans diverses luttes au niveau national.

Si le travail du Conseil des droits de l’homme est analysé du point de vue de sa contribution au mandat central de « protection » des droits humains, il est clair que la résolution est réussie puisqu’elle met en place un mécanisme qui cherchera à remplir le mandat de protection. Dans ce cadre d’analyse, la terminologie des amendements demeure largement redondante puisqu’elle n’a pas d’influence sur la façon dont le mandat sera rempli.

À savoir si la victoire pour le mandat est une perte pour le portrait plus large des droits de l’homme, il faut répondre par la négative puisque ces paragraphes du préambule n’ont aucun statut légal. Au mieux, ils sont des indications de pratiques étatiques qui entrent en conflit avec le cadre légal de la Convention de Vienne et la Résolution AG 60/251, voire le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ainsi que le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, d’un point de vue argumentaire. Ceci n’est pas une perte pour la cadre plus large des droits humains puisque ces paragraphes du préambule ne font pas loi; ils sont à peine des indications de politiques.

Cependant, cela ne veut pas dire que l’analyse juridique étendue ci-haut n’a pas de valeur; il s’agit de contextualiser l’analyse. Elle servira à comprendre la portée et l’étendue de la résolution et la nécessité pour les organes politiques des Nations Unies de se conformer aux normes et instruments légaux internationaux pertinents. Ainsi, les organes politiques de l’ONU ne peuvent pas œuvrer à l’extérieur d’un cadre légal; il est honteux que des amendements comme ceux-ci soient discutés, proposés et même adoptés. L’effort d’éducation au Conseil des droits de l’homme doit continuer et nous ne devons pas cesser de faire pression sur les États pour qu’ils suivent de près le mandat original et soient redevables aux traités internationaux qu’ils ont ratifiés, aussi bien qu’au droit international usuel. Ainsi, même si nous voyons le Conseil des droits de l’homme comme une entité qui fait avancer une forme de politique internationale, il y a toujours une expectation de conformité à la loi internationale. Comme le dit Ramcharan :

Il est légitime de s’attendre à ce que les gouvernements respectent leur obligation légale en vertu de la Charte de l’ONU et de la loi internationale sur les droits de l’homme, tout en participant dans des organes de l’ONU, même celles qui sont politiques, et qu’ils remplissent leurs obligations de bonne foi, conformément aux traités sur les droits de l’homme.[6]

Convertir cette expectation en réalité demeure une lutte constante.

 

Lire plus:

I Introduction 

II  Le processus menant à la Résolution 2016

La logique soulignant la résolution sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre

Ébauche de la résolution

Discussions informelles sur l’ébauche de la résolution

Les efforts de revendication de la société civile

Déclarations conjointes de la société civile

Montrer la nécessité d’un Expert indépendant au Conseil des droits de l’homme

III Comprendre la résolution OSIG 2016 

Les résultats du vote

Une analyse des amendements hostiles

Ce que la résolution fait est plus important que ce qu’elle dit

IV  Comprendre le côté politique : pourquoi les États ont voté ainsi ? 

Comprendre le vote Oui

Le leadership de LAC 7

Le vote Oui asiatique

L’insuccès de la rhétorique de pays développés vs pays en développement

La passion caractérisant le vote Oui

Comprendre les abstentions

L’abstention de l’Afrique du Sud vue comme une régression

Ghana, Botswana et Namibie : des abstentions de progrès

L’abstention de l’Inde : faire du sur place ?

L’abstention des Philippines : un pas en arrière

Comprendre le vote Non

Le leadership de l’OCI

Le Groupe africain

L’appui de la Russie et de la Chine

Une plus large opposition au cadre des droits de l’homme universels

La menace au fonctionnement du Conseil

V. Les interconnexions avec les autres résolutions à la 32e session du Conseil 

 Appendice I- Bref résumé de toute autre référence à OSIG à la 32esession du CDH (en Anglais)

Appendice II– Description du vote sur la Résolution OSIG (en Anglais)

Appendice III– Description du vote au sujet de la Résolution sur la Famille (en Anglais)

Appendice IV- Description du vote au sujet de la Résolution du la Société civile (en Anglais)

Rapport en PDF

 

[1]Une copie de la résolution déposée est disponible à http://ap.ohchr.org/documents/dpage_e.aspx?si=A/HRC/32/L.2/Rev.1

[2] Une copie de la résolution adoptée est disponible à : http://www.ohchr.org/Documents/HRBodies/SP/CallApplications/HRC33/A.HRC.RES.32.2_AEV.docx

[3] Bertrand Ramcharan, The law, policy and politics of the UN Human Rights Council, Brill, 2015, page 64.

[4] Pour donner un exemple, le premier rapport produit par le Haut-Commissaire des droits de l’homme fut cité devant la Cour suprême de l’Inde comme la plus récente recherche, avec le plus de poids, sur le statut de l’orientation sexuelle et l’identité de genre dans une perspective globale.

[5] Bertrand Ramcharan, The law, policy and politics of the UN Human Rights Council, Brill, 2015, page 228.

[6]  Ibid. p. 125.