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Par Arvind Narrain
Introduction
Le Conseil des droits de l’homme est prêt, en 2016, à considérer une troisième résolution sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre. La résolution proposée sera un suivi aux deux résolutions historiques sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre, qui furent adoptées par le Conseil en 2011 et 2014.
Les deux résolutions du Conseil et les rapports de plusieurs Rapporteurs spéciaux ont clairement encadré la discrimination et la violence subies par les personnes LGBT à l’intérieur de la terminologie propre à l’orientation sexuelle et l’identité de genre (OSIG).
Le présent document tentera de retracer l’histoire relativement récente de l’usage de cette terminologie dans la législation internationale, pour ensuite chercher à comprendre ce que ce cadre conceptuel permet.
Dans la société civile, il y a eu un vigoureux débat pour savoir si la terminologie d’OSIG est adéquate et s’il ne faut pas un cadre plus « large » concernant les droits sexuels. Ce document expliquera ce que le cadre conceptuel d’OSIG peut accomplir et pourquoi un cadre des droits sexuels, bien que nécessaire, serait inadéquat en soi. Il soutiendra que nous devons envisager les droits OSIG et sexuels comme moyens complémentaires et intersectionnels d’encadrer la violence et la discrimination, une victoire dans une sphère ouvrant un espace dans l’autre.
Orientation sexuelle et identité de genre dans la législation internationale
En 1992, dans Toonen c. Australie, le Comité des droits de l’homme a noté que la loi anti-sodomie de Tasmanie violait des dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP). Le Comité a trouvé que la loi sur la sodomie en Tasmanie viole le droit à la vie privée inscrit dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Comité a explicitement noté que la « référence à “sexe” dans les articles 2, parag. 1, et 26 doit se lire comme incluant l’orientation sexuelle ». Sans plus d’explication, le Comité reconnaît explicitement que « la référence au “sexe” dans les articles 2, parag. 1, et 26 inclut l’orientation sexuelle ».
Bien que le concept de l’orientation sexuelle fût d’abord articulé en 1992 dans la législation internationale, il a fallu attendre plus longtemps pour reconnaître le concept d’identité de genre. En fait, aussi tard que 2003, lorsque le Brésil proposa une résolution à la Commission des droits de l’homme (de l’époque) sur « les droits de l’homme et l’orientation sexuelle », cette résolution « exprimait une profonde inquiétude concernant l’occurrence des violations de droits de l’homme dans le monde contre des personnes sur la base de leur orientation sexuelle »[1] (italiques ajoutés). L’identité de genre était complètement absente du cadre de référence de la législation internationale sur les droits de l’homme.
L’avancée pour l’introduction de la notion d’identité de genre s’est faite en 2007 lors de la publication des « Principes de Jogjakarta sur l’application de la législation internationale des droits humains en matière d’orientation sexuelle et d’identité de genre ». Les Principes de Jogjakarta visèrent une lecture de l’état actuel de la loi internationale comme elle s’appliquait aux personnes discriminées sur la base de l’orientation sexuelle et l’identité de genre, sous forme de vingt-neuf principes touchant une variété de droits, y compris les droits civils, politiques, sociaux, culturels et économiques. Pour la première fois en législation internationale, les principes définirent à la fois les termes « orientation sexuelle » et « identité de genre », énonçant ainsi comment les droits d’une personne pouvaient être violés pour ces deux motifs.
L’avancée fournie par les Principes de Jogjakarta dans l’introduction pour la première fois de la notion d’identité de genre dans la loi internationale repose beaucoup sur le fait que la question de l’identité de genre était constamment articulée comme une préoccupation clé des activistes LGBT du Sud. C’est grâce à leur persistance que les Principes de Jogjakarta firent un bond (en termes de loi internationale) et introduisirent la notion d’identité de genre.
À la lumière de ce rapprochement des notions d’orientation sexuelle et d’identité de genre dans la loi internationale, l’Afrique du Sud présenta une résolution historique en 2011, « demandant à la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme de faire établir, d’ici à décembre 2011, une étude qui rende compte des lois et pratiques discriminatoires ainsi que des actes de violence commis contre des personnes en raison de leur orientation sexuelle et de leur identité de genre »[2] (italiques ajoutés).
À partir de ce moment, les liens conceptuels entre « orientation sexuelle » et « identité de genre » furent bien établis et la résolution de suivi au Conseil des droits de l’homme en 2014 demanda aussi « au Bureau du Haut-Commissaire de mettre à jour le rapport précédent du Haut-Commissaire sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre »[3] (italiques ajoutés).
Chacun de ces points de repère saillants dans le développement du concept de l’OSIG dans la législation internationale repose sur un passé de lutte. Si ces concepts font maintenant partie de la loi internationale, c’est grâce aux années de lutte menée par les activistes LGBT pour rendre visible la violence et la discrimination infligées à un groupe de personnes apparemment amorphes sur la base de leur orientation sexuelle et identité de genre.
Qu’est-ce que les notions d’orientation sexuelle et identité de genre permettent ?
Pour comprendre l’étendu couvert par les termes d’orientation sexuelle et d’identité de genre, il est utile de remonter aux définitions incluses dans les Principes de Jogjakarta :
« orientation sexuelle » est comprise comme faisant référence à la capacité de chacun de ressentir une profonde attirance émotionnelle, affective et sexuelle envers des individus du sexe opposé, de même sexe ou de plus d’un sexe, de signifier cette attirance et d’entretenir des relations sexuelles avec ces individus.
« identité de genre » est comprise comme faisant référence à l’expérience intime et personnelle de son genre faite par chacun, qu’elle corresponde ou non au sexe assigné à la naissance, y compris une conscience personnelle du corps (qui peut impliquer, si consentie librement, une modification de l’apparence ou des fonctions corporelles par des moyens médicaux, chirurgicaux ou autres) et d’autres expressions du genre, y compris l’habillement, le discours et les attitudes.
Les Principes de Jogjakarta ont comblé une lacune car la législation internationale utilisait ces termes sans les définir. Par exemple, Toonen a utilisé le terme « orientation sexuelle » sans clarifier ce que cela comprenait. Le fait que les Principes de Jogjakarta définirent ces termes, des juridictions de par le monde s’en emparèrent allègrement.
En Argentine, la loi historique sur l’Identité de genre a emprunté sa définition aux Principes de Jogjakarta.[4] En Inde, le jugement de la Haute Cour de Delhi dans Naz Foundation c. NCR Delhi[5] (sur le Section 377 du Code pénal indien) et le jugement de la Cour suprême qui reconnaît les droits des transgenres dans National Legal Services Authority c. Union of India[6] (NALSA) ont tous deux cité les Principes de Jogjakarta.
Par-delà la valeur de ces citations, il faut noter que le jugement NALSA s’est implicitement inspiré de la terminologie Jogjakarta pour définir les libertés protégées par la constitution. Tel que noté par la Cour :
L’Article 19 (1) (a) de la Constitution stipule que tous les citoyens jouissent du droit de parole et d’expression, ce qui inclut l’expression de son auto-identité de genre. L’auto-identité de genre peut s’exprimer par l’habillement, la parole, l’action, le comportement ou toute autre forme. Aucune restriction ne peut s’appliquer à l’apparence personnelle d’une personne ou à son choix de vêtement, conformément aux restrictions incluses dans l’Article 19 (2) de la Constitution.[7]
Selon le langage adopté par le Cour dans ses énoncés cruciaux, la liberté d’expression inclut la liberté d’exprimer son auto-identité de genre par « l’habillement, la parole ou le comportement », ce qui fait écho à la définition Jogjakarta de l’identité de genre, dans laquelle « l’habillement, le discours et les attitudes » sont inclus pour exprimer son identité de genre.
Les termes « orientation sexuelle » et « identité de genre » sont passés de la loi internationale à la législation domestique, ouvrant de nouvelles façons d’interpréter les textes constitutionnels existants (Inde) et les intégrant dans des statuts nationaux (Argentine). La terminologie de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre, telle que définie par les Principes de Jogjakarta, pourrait potentiellement ouvrir plusieurs autres portes domestiques dans les années à venir.
Les définitions de l’orientation sexuelle et l’identité de genre trouvent de plus en plus place dans les domaines de la législation et des politiques, à la fois au niveau international et domestique. Mais les aspirations des activistes sont-elles pour autant satisfaites ? Les horizons du possible s’agrandissent constamment dans la société civile qui rêve plus gros que ce que peuvent offrir les gouvernements. Il y a souvent un écart entre l’imagination utopiste d’un militant et la terminologie plus étroite de la législation.
Comment évaluer les concepts de l’orientation sexuelle et l’identité de genre dans ce nouveau contexte ? Quel est l’étendu des identités, actes et comportements qui devraient être protégés par la loi contre la violence et la discrimination ? Et où ces concepts échouent-ils ?
En ce qui a trait à l’orientation sexuelle, le débat dans la communauté est le suivant : la protection des identités finit-elle par exclure ceux qui ne s’identifient pas comme gays, mais qui peuvent s’adonner à des actes homosexuels. Les activistes ont justement souligné qu’un focus exclusif sur les identités finit par nier le fait que, dans des grandes parties du monde, des gens ne s’identifient pas comme gays ou lesbiennes, mais sont sujets à une violence et à une discrimination basées sur les actes sexuels auxquels ils s’adonnent. Le concept de l’orientation sexuelle, tel que définie par les Principes de Jogjakarta, serait-il donc assez large pour comprendre à la fois les actes et les identités ?
Une lecture serrée de la définition de l’orientation sexuelle indique que cette dernière comprend deux notions :
-la capacité de chaque individu de sentir une profonde attraction émotive, affective et sexuelle envers des personnes de même genre, de genre différent ou de plus d’un genre;
-la possibilité de relations sexuelles et intimes entre personnes de même genre, de genre différent ou de plus d’un genre.
La première notion touche non pas le domaine des actions mais des sentiments, émotions et attractions. La définition de l’orientation sexuelle comprend des émotions, attractions, affections et sentiments sexuels. Cet aspect de la définition visant « une profonde capacité d’attraction émotive, affective et sexuelle » pointe vers l’aspect psychologique de l’orientation sexuelle. En indiquant que l’attraction sexuelle, émotive et affective est « profonde », on soulève une dimension plus que sexuelle, à savoir que les actes sexuels auxquels on s’adonne ont une forte signification.
La seconde notion ramène l’orientation sexuelle au cœur des « relations sexuelles et intimes ». Sous cette notion, on ne parle pas nécessairement d’identité et de personnalité, mais plutôt de la formation de relations sexuelles et intimes entre personnes comme élément intégral de l’orientation sexuelle. Crucialement, donc, on n’a pas besoin d’être gay pour entrer sous la rubrique de l’orientation sexuelle; on a juste à former des relations sexuelles avec une personne de même sexe. On étend ainsi la protection à ceux qui n’entrent pas dans le cadre identitaire.
Ces deux aspects de la définition pointent vers la diversité du groupe affecté par les préjugés de la société et de l’État. Il y a ceux pour qui l’attraction sexuelle fait partie de leur identité et personnalité, puis ceux qui ne s’identifient pas nécessairement comme gays ou lesbiennes, mais dont les relations et actes sexuels les exposent à la raillerie sociale et à la discrimination de l’État. En formulant la notion de façon plus large, le concept offre une protection à la diversité des actes et identités au sein de la communauté LGBT.
Passons au terme « identité de genre ». Des divisions se forment dans la communauté lorsqu’il est question de déterminer qui est compris dans la définition de transgenre. La protection s’applique-t-elle seulement à ceux qui modifient leur corps pour le rendre conforme à leur genre profondément senti, ou touche-t-elle aussi ceux qui ne souhaitent pas modifier leur corps, mais qui choisissent d’exprimer leur genre à travers l’habillement, le comportement et les manières?
La définition de l’identité de genre dans les Principes de Jogjakarta est formulée largement pour inclure cette diversité au sein de la communauté LGBT. Sa lecture peut inclure deux groupes :
-ceux qui choisissent de « modifier une fonction ou apparence corporelle par des moyens médicaux, chirurgicaux ou autres » afin de rendre leur corps conforme à leur « profond sens de genre interne et individuel » ;
-ceux qui choisissent d’exprimer leur « profond sens de genre interne et individuel » non pas en modifiant leur corps mais par « l’habillement, la parole et les manières ».
Les définitions de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre dans les Principes de Jogjakarta évitent adroitement le piège de protéger seulement les identités établies comme les gays, lesbiennes, personnes bisexuelles ou transgenres et étendent expressément la protection à une grande variété de gens, tous pouvant être ciblés en raison de leur comportement sexuel, actes sexuels, identités sexuelles, expression de genre ou identité de genre.
La formulation très large des définitions Jogjakarta rend justice à cette pluralité d’identités, de corps et d’expressions qui sont groupés sous les termes « identité de genre » et « orientation sexuelle ». Ces deux concepts sont une vaste tente sous laquelle peut se réfugier la diversité.
Limitation du cadre des droits sexuels pour les questions OSIG
Le cadre OSIG est parfois taxé de ne pas être assez inclusif et le concept d’un mandat de la sexualité ou un mandat de droits sexuels est mis de l’avant en tant que cadre plus inclusif. De nouveau, ceci doit être testé de plus près.
La force d’un mandat de droits sexuels tient à son offre d’un cadre sous lequel une pléiade de questions peut se croiser. Il pourrait inclure une éducation sexuelle globale, les droits des travailleurs du sexe, les droits LGBTI et les droits à l’avortement. En soi, il offre l’alléchante proposition d’une tente encore plus large qui peut comprendre tout un éventail de questions.
Bien qu’il est important qu’un mandat de droits sexuels soit établi comme moyen de faire avancer des luttes menées par la plupart des groupes progressifs, ce serait une erreur de croire que le cadre des droits sexuels est adéquat pour répondre aux préoccupations d’une variété de sous-groupes qu’il entend représenter.
En le regardant dans la perspective des luttes autour de l’orientation sexuelle et l’identité de genre, un cadre des droits sexuels exclut certains aspects auxquels un cadre OSIG est plus sensible. On peut souligner juste deux préoccupations immédiates.
Un cadre de droits sexuels retire de l’équation cet équilibre dynamique entre sexuelle et orientation. Tel que noté ci-avant, la définition Jogjakarta de l’orientation sexuelle permet une interaction entre le sexuel et la question de l’identité et de la personnalité. Dans un cadre plus étroit des droits sexuels, la profondeur permise par le concept d’identité et de personnalité est sacrifiée à l’étendu qu’un cadre de droits sexuels peut atteindre. De plus, un cadre des droits sexuels ne sert pas la notion d’identité de genre. Tel que noté ci-avant, les gens sont ciblés à la fois par l’État et la société civile sur la base de leur expression de genre, qui a ou n’a rien à voir avec leur sexualité. Chercher à cadrer les préoccupations autour de l’identité de genre en termes de droits sexuels demeure réductif, car l’interaction complexe de l’expression et de l’identité de genre peut faiblement ou aucunement toucher le cadre des droits sexuels.
Au niveau concret, les implications d’une réduction de la question LGBT à une seule question de droits sexuels sont dangereuses. Des progrès de par le monde reposent sur le fait que les activistes ont toujours pu insister qu’on parle d’une question qui touche plus que les droits sexuels.
Les dangers de limiter la définition d’un être LGBT à un droit sexuel sont évidents dans les cas de litige entourant les lois sur la sodomie. Une dyade de décisions, par la Cour suprême des États-Unis et les Cours indiennes, illustre ce point.
En 1986, la Cour suprême américaine, dans Bowers c. Hardwick[8], a maintenu la loi anti-sodomie en Géorgie et il fallut attendre jusqu’en 2003 avant que la cour renverse sa position et annule la loi anti-sodomie au Texas. Bien que beaucoup de choses ont changé aux É.-U. durant cette période, il importe de noter comment les juges ont choisi d’encadrer leur désaveu de la loi dans ces deux cas.
En 1986, la Cour suprême américaine a maintenu la loi anti-sodomie en Géorgie en soutenant que la « Constitution ne confère pas aux homosexuels un droit fondamental de commettre la sodomie homosexuelle ». Dans ce cas, on ne reconnaissait pas le fait que les personnes LGBT existait et qu’il y avait une complexité liée à l’existence LGBT, qui pouvait inclure des actes, des identités et des expressions sexuels. En réduisant l’existence LGBT à ce que les juges appelaient « sexe homosexuel », la loi sur la sodomie fut maintenue.
En 2003, la décision dans Lawrence c. Texas[9], qui abolit la loi anti-sodomie au Texas, les juges choisirent de cadrer leur rejet plus largement. Dans le cas de Lawrence, la cour a expressément soutenu que Bowers errait en concluant que la question devant la cour concernait « le droit de s’adonner à une certaine conduite sexuelle ». La Cour a stipulé que :
Même si les lois Bowers et ici prétendent ne pas faire plus qu’interdire un acte sexuel particulier, leurs pénalités et buts ont des conséquences de plus grande portée, touchant le comportement sexuel de la conduite humaine la plus privée.[10]
La Cour lie la liberté de s’engager dans des actes sexuels de son choix aux aspects intégraux de la personne humaine. Tel que noté par la Cour :
La liberté présume une autonomie de soi qui inclut la liberté de pensée, la croyance, l’expression et une certaine conduite intime. Le cas présent concerne la liberté de la personne, à la fois dans des dimensions spatiales et plus transcendantes.[11]
La dyade des cas indiens illustre les mêmes défis mais à l’envers. Dans Naz Foundation c. NCR Delhi [12], la Haute Cour de Delhi a condamné la loi anti-sodomie et dans Suresh Kumar Koushal v. NCR Delhi[13] la Cour suprême a réintroduit la Section 377 du Code pénal indien. La raison derrière les décisions est apparente dans la façon dont les Cours ont choisi de les cadrer.
Dans Naz Foundation, le Haute Cour de Delhi a condamné la Section 377 parce qu’elle violait le droit à la vie, le droit à l’égalité et à la non-discrimination. Tel que stipulé par la Cour :
Dans la Constitution indienne, le droit de vivre dans la dignité et le droit à la vie privée sont tous deux reconnus en tant que dimension de l’Article 21. La Section 377 du Code pénal indien nie la dignité d’une personne et criminalise son identité uniquement en raison de sa sexualité et viole ainsi l’Article 21 de la Constitution. Tel qu’elle est écrite, la Section 377 nie aux gays le droit à une personnalité complète, qui est implicite dans la notion de vie sous l’Article 21 de la Constitution.[14]
C’est précisément cette connexion entre les actes sexuels, la dignité et la personnalité qui est niée dans la décision de la Cour suprême. Le raisonnement clé de la Cour suprême dans Suresh Kumar Koushal était que :
La Section 377 du Code pénal indien ne criminalise pas une personne ou identité ou orientation particulière. Elle identifie à peine certains actes qui, s’ils étaient commis, constitueraient un délit. Une telle interdiction règle la conduite sexuelle sans égard à l’identité de genre et à l’orientation.[15]
Lorsque des vies LGBT sont réduites à la question des actes sexuels, cela rend difficile tout progrès dans l’avancement des droits de la communauté LGBT. Il est possible de conclure que le progrès aux niveaux législatif et juridique en matière de droits des personnes LGBT exige que la question soit cadrée au-delà des droits sexuels. On ne peut pas sous-estimer l’importance du lien à l’identité et à la personnalité lorsqu’il s’agit de faire des progrès en matière de violence et de discrimination subies par les gens LGBT.
La nature complémentaire et inter-sectionnelle des luttes basées sur l’OSIG et les droits sexuels
Les limites du cadre des droits sexuels ont été soulignées pour indiquer que l’OSIG ne peut pas être englobé dans les droits sexuels. Cela ne vise pas à mettre en doute la valeur du cadre des droits sexuels.
La valeur indépendante du cadre des droits sexuels est de mettre le focus sur un concept marginalisé dans plusieurs cultures et contextes. Il est honteux ou embarrassant de parler de sexe dans plusieurs cultures et aller à l’encontre de la moralité sexuelle dominante peut attirer de lourdes conséquences de la part de l’État et de la société. Le genre de lourdes punitions subies par ceux qui violent la moralité sexuelle dominante nous indique l’importance d’un système sexuel qui a ses propres mœurs et règlements, avec de lourdes conséquences s’ils sont violés.[16]
En parlant des droits sexuels, on fait implicitement signe à un système sous-jacent de sexualité. Les droits sexuels sont vraiment une assertion du droit d’exprimer sa sexualité de façons multiples et diverses sans craindre un châtiment.
Un cadre des droits sexuels fera avancer la vision de la sexualité en soi comme une zone de violation des droits. En érigeant une tente plus large des droits sexuels, on peut potentiellement regrouper de multiples luttes qui ont toutes un élément de sexualité. Ainsi, les droits des travailleurs du sexe, les droits à l’avortement et les droits LGBTI sont des exemples de luttes qui renferment un aspect de sexualité.
Bien qu’il s’agisse d’un but important, ce serait une erreur de vouloir englober chacune de ces luttes sous le cadre de la sexualité, pour certaines des raisons mentionnées ci-dessus. On devrait voir les droits sexuels comme un cadre complémentaire et intersectionnel avec le cadre de l’OSIG ; un progrès de part ou d’autre permettra d’élargir le débat et de faire avancer une stratégie progressive.
[1] E/CN.4/2003/L.92
[2] A/HRC/RES/17/19
[3] A/HRC/RES/17/19
[4] L’Article 2 de la Loi sur l’identité de genre stipule que l’identité de genre « est comprise comme faisant référence à l’expérience intime et personnelle de son genre faite par chacun, qu’elle corresponde ou non au sexe assigné à la naissance, y compris une conscience personnelle du corps. Cela peut impliquer une modification de l’apparence ou des fonctions corporelles par des moyens pharmacologiques, chirurgicaux ou autres, consentis librement. Sont aussi inclus d’autres expressions du genre, comme l’habillement, le discours et les attitudes ».
[5] (2009)160 Delhi Law Times 277.
[6] http://supremecourtofindia.nic.in/outtoday/wc40012.pdf
[7] Ibid.
[8] 478 U.S. 186 (1986)
[9] 539 U.S. 558 (2003)
[10] Ibid.
[11] Ibid.
[12] (2009)160 Delhi Law Times 277.
[13] 2013 (15) SCALE 55: MANU/SC/1278/2013.
[14] (2009)160 Delhi Law Times 277.
[15] 2013 (15) SCALE 55: MANU/SC/1278/2013.
[16] Voir Gayle Rubin, Thinking Sex: Notes towards a radical theory, www.feminish.com/wp-content/uploads/2012/08/Rubin1984.pdf